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mardi 10 janvier 2012

LE RACISME : Une histoire de conditionnement?

Jusqu’à la fin du 18e  siècle, il n’y a pas de théorisation ni de hiérarchisation de ce qu’on entend aujourd’hui par race », explique l’historien Éric Deroo. En fait, le concept de races est alors lié aux classes sociales : on parle de la pureté du sang bleu de la noblesse qui risquerait d’être contaminé par celui de la vulgaire roture.

« Surtout, l’Occident est dominé par une construction religieuse du monde », poursuit le chercheur. Et elle offre une simplicité biblique : tous les individus ont été créés par Dieu, et ils disposent par conséquent d’une âme, quelle que soit leur couleur, qui n’est en rien liée à une éventuelle infériorité.




Bien sûr, l’épisode des Amérindiens découverts avec stupéfaction en  1492 sème le doute : puisque ces êtres étranges ne sont pas mentionnés dans La Cité de Dieu de saint Augustin, sont-i ls vraiment humains ? Mais la vision mono géniste, qui considère une origine commune à tous les hommes, tous descendants d’Adam et Ève, tient bon la rampe et exclut tout concept racial biologique. Du côté des savants, on acquiesce religieusement, mais on brûle de comprendre pourquoi l’espèce humaine présente des teintes si variées.

"Au milieu du 18e siècle, Bufon avance, pour sa part, le concept de dégénération selon laquelle l’homme, d’un blanc originel, prend différentes couleurs en fonction du climat sous lequel il habite. Mais cette thèse, certes dépréciative, est exempte de connotation raciale, car le processus est jugé réversible : selon lui, des hommes à la peau noire deviendraient blancs en climat tempéré, précise l’historien Claude Blanckaert.

Tout cela vole en éclats quand, lors des grandes expéditions du Paciique, on découvre de sensibles variations physiques chez les hommes qui habitent une même latitude. » Le climat ou le genre de vie n’explique donc pas tout. …

On passe alors à une conception qui dominera tout le 19e siècle, le polygénisme, qui imagine plusieurs couples, et pas seulement Adam et Ève, à l’origine des hommes. 

« Dès lors, on peut concevoir l’existence de plusieurs humanités différentes », souligne Éric Deroo. La porte est donc ouverte pour que se mette lentement en place une hiérarchisation que l’on somme la biologie d’expliquer. « C’est le siècle de la mesure, rappelle Gilles Boëtsch. Volumes des crânes, texture des cheveux, angle facial, tout y passe. Les typologies les plus folles se multiplient, avec parfois des centaines de critères. »

Cette obsession scientiste et rationaliste veut pallier le déclin de la vision religieuse et chrétienne du monde, sérieusement écornée depuis la Révolution française : après tout, le roi auquel on a coupé la tête n’était rien de moins que le représentant de Dieu sur Terre !

 C’est dans ce contexte qu’émergent, au début du 19 e siècle, les prémices de la théorie de l’évolution, dans lesquelles, providentiel, l’Africain apparaît parfois comme le chaînon manquant idéal entre le primate et l’homme.

 Aujourd’hui, le concept de races humaines est scientifiquement dénué de sens.

La paléoanthropologie, qui fouille les archives du sol et du sous-sol pour retracer l’évolution de l’homme, en a fourni la preuve avec la mise au jour des premiers restes humains fossiles dans la grotte belge d’Engis, près de Liège, en 1830. Tout ce que les chercheurs d’os ont découvert depuis bientôt deux siècles plaide en faveur d’« une origine unique, africaine et tropicale de l’homme », assure Yves Coppens, titulaire de la chaire de Paléoanthro pologie et Préhistoire du Collège de France et membre du laboratoire Dynamique de l’évolution humaine du CNRS.

« Les fossiles indiquent que le genre Homo est apparu il y a 2,5 à 3 millions d’années, à la faveur de changements d’environnements imposant des climats moins humides en Afrique. Ce qui revient à dire que nous sommes tous des Africains d’origine et qu’il n’existe aujourd’hui qu’une seule et même famille humaine. »

Les fossiles permettant de retracer les tout débuts de l’histoire évolutive de notre lignée – tel Sahelanthropus tchadensis, dit Toumaï, vieux de quelque 4  millions d’années – démontrent, pour l’anthropologue, que « c’est déjà en Afrique tropicale, voilà probablement 10 millions d’années, que la route des chimpanzés s’est séparée de celle qui mène aux hommes actuels » et qu’est apparu notre grand-père à tous.

 Certes, il a bel et bien existé, dans un passé récent, plusieurs espèces du genre Homo. Homo neanderthalensis a cohabité en Europe avec Cro-Magnon il y a seulement 35 000 ans. Homo denisovaensis, identifiée en  2010, était elle-même contemporaine de Néandertal. Homo floresiensis, découverte en Indonésie en  2003, vivait il y a encore 13 000  ans. Mais toutes se sont éteintes. C’est notre espèce, Homo sapiens, l ’humain, qui a fini par prévaloir.

 Le goût pour la bougeotte des pionniers était si grand, et les migrations et les conquêtes, si nombreuses, que les gènes humains n’ont cessé de se mélanger. Autant de brassages qui permettent aux chercheurs d’airmer que les gènes des membres de l’espèce humaine sont aujourd’hui semblables à 99,9 %.

Et que subdiviser l’humanité en races relève, biologiquement, de l’arbitraire le plus total.
L’homme moderne étant relativement jeune – Homo sapiens serait né il y en environ 200 000 ans –, la diversité génétique parmi les 7 milliards de Terriens est très faible.

En outre, « de très nombreuses études, depuis une quinzaine d’années, montrent qu’il peut y avoir plus de différences entre les génomes de deux individus d’une même population qu’entre les génomes de deux individus appartenant à des populations différentes », intervient Lluis Quintana Murci, directeur de recherches au CNRS et chef de l’unité Génétique évolutive humaine à l’Institut Pasteur.

UNE FAIBLE DIVERSITÉ GÉNÉTIQUE  :
Autrement dit, même s’ils appartiennent de longue date à la même population, un Strasbourgeois et un Lyonnais peuvent présenter bien plus de différences l’un avec l’autre dans leur génome qu’avec celui d ’un Inuit , d ’un habitant de l ’Andhra Pradesh ou d ’un Pygmée congolais.
En d’autres termes, « la plus grande différence génétique apparaît au niveau interindividuel, quelle que soit la population d’origine », indique Lluis Quintana-Murci.

Impossible de nier, pourtant, qu’il y ait des Blancs, des Noirs, des Jaunes…
 Cette variété phénotypique prouve qu’il existe des mutations propres à certains groupes ethniques et liées à la couleur de la peau, à la morphologie du visage, à la texture des cheveux, etc. Mais les marqueurs génétiques caractérisant uniquement les Européens, les Africains, les Asiatiques, etc., sont « très peu nombreux, remarque le chercheur.

Ces différences, qu’il serait absurde de nier, concernent une proportion infinitésimale du génome humain » et sont bien trop ténues pour accréditer l’existence de races.

DES COMBINAISONS SUBTILES
Quant aux études qui concluent à l’existence de 5 à 6 grands groupes humains 1 correspondant à autant de grands ensembles géographiques (Amérique, Afrique, Eurasie, Australie…), notre généticien des populations en souligne sans surprises les limites :

« Il s’agit d’une simplification de la réalité, mal interprétée par certains qui désirent répartir les hommes en races. Les individus appartiennent toujours à une combinaison d’ensembles géographiques très proches sur le plan génétique. Par exemple, un citoyen des États-Unis catégorisé comme afro-américain peut très bien avoir des ascendants européens, africains et nord américain d’origine. »

Et Lluis QuintanaMurci de conclure : « Certains de nos gènes sont un miroir de la géographie, mais personne n’appartient à 100 % à un groupe humain. Nos origines sont toujours extrêmement complexes et nous sommes tous un mélange de nombreux ancêtres provenant d’origines très variées. »


Si, à l’heure actuelle, le racisme fondé sur la biologie, qui présuppose une classiication hiérarchique des groupes humains, « est en net recul dans le monde démocratique occidental, l’on ne saurait conclure qu’il est en voie d’extinction sur la planète, note pour sa part Pierre-André Taguief, du Centre de recherches politiques de Sciences Po 2 .

Parallèlement, au cours des . trente dernières années du xx e siècle, on a assisté au surgissement d’un racisme centré sur l’identité culturelle. La question du racisme s’est ainsi décrochée de la vieille question raciale ».

Ce nouveau type de racisme suppose que certaines croyances religieuses, façons de s’habiller, habitudes alimentaires, etc., sont irréductiblement incompatibles avec d’autres cultures. Bref, qu’il existe des groupes humains mutuellement antagonistes. Dans ce néoracisme diférentialiste et culturel, comme dans le racisme biologisant, on rencontre la hantise du mélange, « supposé destructeur de l’identité du groupe d’appartenance, analyse le politologue.

Retranscription d'un article du Journal du CNRS de décembre 2011

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